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I-SLAM : ISLAM POSTMODERNE








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lundi 21 janvier 2013

De la croyance à la foi 1

Croire contre autrui ou la foi pour tous : dilemme du vivre-ensemble de la nouvelle socialité tunisienne



Notre époque postmoderne met l'accent sur le retour en force des valeurs anciennes que l'on croyait à jamais perdues. De ces valeurs, il en est une qui est particulièrement importante, son absence ou sa dévalorisation ayant entraîné le désenchantement du monde; il s'agit de la spiritualité.
Et on le voit aujourd'hui en Tunisie, le besoin de croire l'emporte même sur la volonté de vivre. Or, si le droit au sacré est désormais une liberté comme une autre à reconnaître à l'Homme, il est toutefois regrettable de continuer à faire la confusion entre la croyance et la foi, amalgamant le bon grain et l'ivraie.
Au vrai, croire peut-être irrationnel et dramatique, alors qu'avoir la foi est tout ce qui est de plus rationnel quitte à paraître tragique. Il est bien évident que nous faisons ici nôtre la distinction devenue classique en sciences sociales entre le dramatique et le tragique, le premier étant ce qu'il nous faut éviter, synonyme de catastrophe et de désastre. Quant au second, il correspond à l'inéluctabilité de certains faits irrésistibles auxquels le sage se soumet comme toute autre créature en cet univers; toutefois, en ne contrariant nullement le cours de la nature, il use de sa raison pour ni se laisser emporter trop loin ni abdiquer son libre arbitre, puisant dans son instinct l'intuition juste qui fait le meilleur en l'Homme.
La dramaturgie de la croyance vient du fait qu'elle se colore d'idéologie et exacerbe les passions humaines. Le tragique de la foi est dans son inéluctabilité pour l'homme libéré de sa prétention à dominer un monde auquel il se sait désormais bien soumis, devant l'accepter comme il est, tel qu'il se donne à voir, ne pouvant que s'y adapter avec intelligence, employant cette faculté qui le distingue des autres créatures de la nature et qui est son honneur.
Rapportée à l'islam, notre distinction porte sur sa double nature de culte et de culture; la croyance relevant du culte et la foi de la culture. Si l'islam a une prétention à l'originalité et à la rationalité de ses préceptes, cela ne saurait relever d'une conception cultuelle, mais de ce qu'il a laissé voir et illustrer de la plus belle façon durant son histoire en un habit de Lumières.
Si l'islam se veut ce qu'il n'a jamais été en ses débuts, soit s'il se transforme en simple culte comme y travaillent les plus dogmatiques de nos islamistes, alors il ne sera ni universel ni rationnel. Le pire est qu'il ne sera même pas le vrai islam, l'islam authentique ayant été une révolution des mentalités.
En effet, la lecture que l'on nous offre aujourd'hui de l'islam n'est que l'islamisation de façade d'une tradition judéo-chrétienne qui a su infiltrer notre religion et que l'islam vrai, l'islam des origines, était venu justement rectifier pour la conformer à la foi originelle.     
Il est impératif que les croyants musulmans sachent s'élever au degré supérieur de la foi en devenant les fidèles véritables de l'islam. Entre un croyant et un fidèle, il y a tout l'esprit révolutionnaire de l'islam, un esprit fait de tolérance, d'ouverture et d'humanisme. Le croyant s'attache à la lettre du dogme tandis que le fidèle honore son esprit. Or, entre la forme et l'esprit de la forme, entre le corps périssable et l'esprit éternel, il y a toute la différence entre une religion éternelle et universelle, sceau des religions et une religion particulariste, réduite à un simple rite, un pur culte.
Le fidèle n'a pas recours aux stratagèmes multiples des croyants pour préserver l'actualité d'une religion qui est de son temps du fait qu'elle se veut éternelle. Et telle éternité est dans la plasticité avérée de ses préceptes saisis selon leur esprit.
Les fidèles des premiers temps l'avaient bien compris qui s'attachaient moins à la lettre de leur religion qu'à ses intentions, ses visées, son esprit, trouvant les expédients, multipliant les constructions juridiques pour que le texte ne se fige point, violant du coup la vitalité de son âme.
Croire à mourir à la salafi d'aujourd'hui et à faire mourir au lieu de donner la vie et l'entretenir — l'espoir étant à la source de l'islam, y compris et surtout celui du pénitent à la rémission de ses fautes —, ce n'est tout simplement pas croire à l'islam authentique.
Ce dernier honore la vie; la croyance à mort au nom de la foi islamique à la manière des faux salafis, ce n'est rien de moins que de la dénaturation. Seule la foi pour vivre honore l'islam ! Et c'est la foi pour vivre en paix et dans l'amour, la fraternité, avec autrui, y compris dans sa différence, comme le font les soufis, les vrais, ceux dont l'empreinte est encore vivace dans la tradition islamique tunisienne. C'est bien là l'exemple vrai du salaf, l'islam originel.  
Assurément, ce sont les soufis des origines qui ont incarné le mieux cet esprit de l'islam véritablement salafi; le soufisme étant aujourd'hui le seul salafisme authentique, celui de la vérité. C'est pour cela qu'il est craint de ceux qui se disent salafistes et qui ne relèvent que d'une tradition altérée, s'adonnant à un salafisme de mensonge.
Les attaques des mausolées de certains de nos saints le prouvent; nos prétendus salafis savent bien qu'ils ne peuvent dénier aux soufis le droit de se réclamer être les seuls vrais représentants de la tradition authentique et authentifiée de l'islam qu'ils honorent en religion de la vie.
Car l'islam soufi est un code éminent du vivre-ensemble paisible, fraternel, et non une idéologie de haine et de mort comme l'entendent les faux salafis, versant consciemment ou inconsciemment dans la négation de l'autre, leur prochain, viciant une belle religion tout en croyant la servir.
Or, que voit-on en Tunisie aujourd'hui? Bien que l'islam tunisien soit profondément marqué par une triple empreinte faite de tolérance et de rationalisme, puisant en une tradition malékite, ashaarite et soufie, l'islam au pouvoir ne sait ou n'arrive pas à s'en tenir à cette tradition et à la renforcer. Il se laisse déborder par ses tendances extrémistes, motivées surtout par une revanche à prendre contre un passé qui fut certes cruel à leur égard, mais qui ne doit nullement servir de prétexte pour excuser des turpitudes en sens opposé, se vidant ainsi de tout ce qui fait son originalité, à savoir son unanimisme universaliste et rationaliste.
Au lieu de renforcer pareil noyau islamique tunisien, véritable atout pour un islam de progrès et de paix, modèle d'une religion postmoderne, nos élites au sommet de l'État se laissent aller à la tentation d'importer un modèle étranger à la mentalité tunisienne et à sa tradition, cédant à une pratique de l'exercice politique à l'antique, dont les principes sont même antinomiques avec la morale islamique véritable rejetant radicalement la tromperie, la simulation et la dissimulation.
Pourtant, nous avons une alliance au pouvoir censée constituer ce qui pouvait arriver de mieux à la Tunisie, réunissant un parti majoritaire à tendance religieuse, se voulant politiquement modéré, et deux partis minoritaires supposés être de gauche, attachés aux valeurs universelles des droits de l'Homme et de la démocratie.
Mais qu'en est-il dans les faits? Ce que d'aucuns craignaient, à savoir que le parti majoritaire ne joue pas sincèrement le jeu de l'alliance, ne tenant pas compte des exigences essentielles de ses partenaires en cédant à la fermeture dogmatique de ses troupes et en pratiquant la fameuse tactique du plus fort : ce qui est à moi est vérité divine, ce qui est à vous demeure négociable.
Bien évidemment, on ne peut que reprocher au parti majoritaire pareille entorse à la règle d'or d'un partenariat véritable et fructueux, qui est l'équilibre dans les concessions. Cependant, le reproche doit être surtout fait aux partenaires qui acceptent de voir fouler au pied leurs principes fondateurs pour s'accrocher au pouvoir au nom de l'espoir de plus en plus fallacieux d'amener à leurs vues leur partenaire lesté de l'intransigeance du gros de ses troupes.
Le plus grave est que, continuant de la sorte à accumuler les concessions sur ce qui fait l'essence de leur mouvement politique, ces petits partenaires apparaissent comme jouant à la grenouille qui s'évertue à ressembler à qui l'on sait; or, nul n'ignore la triste fin de qui se détourne de sa vraie nature. 
Le Forum menace aujourd'hui de rompre l'entente, mais saura-t-il aller jusqu'au bout de son attachement à des objectifs d'une démocratie pluraliste et foncièrement tolérante?
S'agissant du CPR que je connais mieux, je dirais même qu'il joue aussi au corbeau mimant une marche qui n'est pas la sienne, et qui finit par tout perdre, comme c'est connu. Ce qu'il peut gagner en restant fidèle à son essence est bien plus prometteur, nonobstant.
Où est passé le CPR des années de lutte contre la dictature? Aujourd'hui, il ressemble à un satellite du parti islamiste bien plus qu'à un parti de gauche, tellement il a mis d'eau dans son breuvage. Assurément, Monsieur Marzouki dont on ne peut douter de la profession de foi démocratique ni de la fidélité aux convictions d'antan, peut toujours se sentir impuissant face à un parti qui lui échappe, qu'on soupçonne d'être sévèrement noyauté par des partisans du gros partenaire.
En effet, ce dernier l'aurait fait investir massivement de ses sympathisants dans le but de réussir une stratégie judicieusement arrêtée et contrer les manœuvres faites pour l'empêcher de gouverner seul moyennant un code électoral vicieux. Mais le Président peut-il rester cantonné dans le rôle auquel on le réduit, risquant de voir son parti définitivement dépossédé de son âme?
Il est temps, quitte à contrarier encore plus son partenaire encombrant, pour qu'il rappelle à tous que ses valeurs ne sont pas négociables et qu'il existe une ligne rouge à ne pas dépasser, surtout pas pour les délices de l'exercice du pouvoir qu'il est le premier à répudier. Cette ligne doit être tracée clairement autour de principes éminemment symboliques, sommant s'il le faut EnNahdha de s'y plier à travers une attitude claire et nette.
En voici, à titre d'exemple, trois qui peuvent et doivent faire l'objet d'une adhésion sans tarder du parti majoritaire à travers une orientation définitive pour une mention expresse et formelle dans la Constitution en vue de prouver sa bonne volonté pour un partenariat équilibré n'ayant en vue que l'intérêt du pays et non celui des calculs partisans :
1/ L'abolition de la peine de mort, seul Dieu étant en mesure de mettre fin à la vie de ses créatures;
2/ L'adhésion au système universel des droits de l'homme sans aucune restriction idéologique ou religieuse;
3/ La supériorité des conventions internationales régulièrement ratifiées sur le droit interne.
Appeler ainsi les partenaires de la troïka à dire publiquement et sans fioritures leur adhésion à ces trois principes n'est qu'une façon de les inviter à administrer la preuve de leur véritable foi démocratique et leur égal attachement au système pluraliste tel que ralliant la majorité des sociétés politiques du concert mondial hors de toute logomachie partisane.
Assurément, cela risque de constituer le nouveau dilemme cornélien se posant aux autorités tunisiennes; et il peut être, dans le même temps, un cas de conscience pour certains. C'est qu'il est susceptible de heurter des intérêts immédiats, nécessitant une prise en compte des réalités relevant d'une psychosociologie attestée sur cette terre tunisienne depuis la nuit des temps et qui est la communion dans une ouverture à l'altérité que j'ai nommée par le néologisme de communautarité.
Or, il nous faut être conscients que ce n'est que chercher inutilement à détruire un trait essentiel de la véritable identité tunisienne que de vouloir y imposer un autre islam que le sien. Celui-ci est suffisamment tolérant, humaniste et ouvert à autrui pour faire modèle : l'islam que nécessite l'époque postmoderne, donc un islam d'aujourd'hui, redevenu de nouveau une religion des Lumières.      
Et que les partenaires minoritaires d'EnNahdha ne s'y trompent pas, c'est le parti supposé le plus puissant qui dépend d'eux et non l'inverse, malgré les rodomontades de ses membres les plus déconnectés des réalités; car il ne peut gouverner sans eux. Aussi, ils ne doivent pas hésiter, au nom de leurs principes les plus fondamentaux, à ne plus faire la moindre concession; et ils ne manqueront pas de voir le parti finir par se rallier à leurs vues.
Bien mieux, c'est ainsi qu'ils rendront services à la minorité éclairée de ce parti qui, paradoxalement, a bien besoin de leur intransigeance pour faire valoir son point de vue auprès des siens vivant en un autre temps!
C'est en cela que réside finalement cette autre facette du dilemme des autorités tunisiennes actuelles, celui d'un parti majoritaire officiellement monolithe, supposé le plus fort, cherchant à imposer ses vues et à passer en force, alors qu'il sait ne pouvoir gouverner seul, dépendant de la complicité de ses partenaires.
D'ailleurs, quiconque connaît assez EnNahdha de l'intérieur se rend inévitablement compte que son dogmatisme ne constitue que formellement une force et qu'il reste fondamentalement friable lorsqu'il est confronté à une contestation tout aussi stratégique que sérieuse, discrète mais intransigeante sur les principes d'une bonne gouvernance. Car l'islam n'est rien d'autre que la meilleure gouvernance !  
Ne serait-ce que pour rester au pouvoir — et c'est un souci principal pour le parti de Cheikh Ghannouchi, la réalisation de son programme dépendant de la maîtrise des rouages de l'État et de ses leviers —, il lui faut des partenaires. À ceux-ci de savoir s'imposer à leur colossal partenaire aux pieds d'argile. Que les défenseurs des droits de l'Homme en soient conscients et ne doutent pas de leurs véritables atouts! C'est l'intérêt de notre belle Tunisie qui le leur commande afin qu'elle redevienne re-belle.
Publié sur Leaders